Terrain commun : une déclaration anti-guerre d’Arménie

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9 min readOct 25, 2020

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18 octobre, 2020

Victor Ivanov

L’impact de ce type de texte puisse sembler faible en comparaison de déclaration plus importantes mais impuissantes, telle celle du groupe OSCE de Minsk et d’autres organisations internationales. Si ce genre de texte n’a pas d’impact mesurable, il importe dans la mesure ou il permet une clarification des principes pour le présent et l’avenir et le positionnement de groupes qui, bien que se sentant impuissants, ne peuvent plus reculer devant les évènements.

La lutte dont il est question est celle menée contre l’inégalité, l’oppression, les conflits armés qui éclatent régulièrement en raison de la logique des États-nations et de leurs aspirations impérialistes, et contre les systèmes autoritaires qui violent, oppriment et excluent.

La lutte actuelle pour arrêter la guerre, qui vient s’ajouter à l’enchaînement de conflits armés et des pogroms arméniens-azerbaïdjanais, n’est pas seulement anti-guerre. Elle s’inscrit dans la mouvance anticoloniale, anticapitaliste et antifasciste. Malheureusement, cette lutte s’est effondrée après deux guerres de grande envergure et une pandémie mondiale.

Écrire des textes comme celui-ci implique aussi une possibilité de se retirer de l’actualité d’une certaine manière et de voir les faits de façon plus large. Cependant, le massacre actuel, qui touche déjà des milliers de personnes des deux côtés de la ligne de front, ne nous permet pas de nous déconnecter des évènements.

Cette guerre a commencé le 27 septembre sur ordre des élites politiques azerbaïdjanaises et avec le plein soutien des autorités turques. Cependant, cette guerre est la continuation prévisible de celle qui a été gelée en 1994, sans apporter la paix, ainsi que des décennies de vaines négociations secrètes. C’est aussi la poursuite d’un long processus donnant la priorité aux intérêts de classe, au chauvinisme et à l’opportunisme politique sur les vies humaines, ainsi que de l’isolement des sociétés les unes des autres, créant un vide, et nous arrachant à la possibilité d’une coexistence pacifique.

Nous devons admettre que ni les socialistes, ni les libéraux n’ont été capables de contrer le langage xénophobe omniprésent qui rend impossible toute négociation substantielle. Les absurdités de l’ex-président arménien Kocharyan sur l’incompatibilité génétique des Arméniens et des Azerbaïdjanais ont été, pour beaucoup, perçues comme un fait indéniable.

***

Les deux anciens empires menant des politiques de plus en plus agressives dans la région avaient à leur tour préparé un terrain propice pour cette guerre. Les deux dictateurs, ayant confisqué le pouvoir aux peuples de Russie et de Turquie, parlent le même langage, et de la même façon en appellent aux vielles cartes d’empires effondrés.

Nikol Pashinyan et son parti, le Contrat civil, qui sont arrivés au pouvoir à la suite du mouvement populaire de masse de 2018, dite la “Révolution de velours”, ne sont-ils pour autant conditionnés par la machine de propagande qui fonctionnait depuis des décennies ? Bien sûr qu’ils le sont. La déclaration de Nikol Pashinyan en est un exemple frappant : “L’Artsakh, c’est l’Arménie, point final”. Nous croyons pour notre part qu’il aurait été possible d’éviter cette tragédie grâce à des négociations substantielles et transparentes, des concessions mutuelles et un processus de négociation mené par la nécessité de la justice et une paix durable. Cependant, l’histoire ne connaît pas le mot “si” et ne revient pas en arrière, mais laisse une fois de plus le choix entre la paix et la guerre.

La guerre change les gens de façon catastrophique, elle change leur perception et leur discours à propos de la paix. Dans le contexte de la guerre, un nouveau discours agressif se diffuse, et se répand à la fois en Arménie et en Azerbaïdjan. “Ne laissons pas la guerre à la prochaine génération” : voilà le mot d’ordre des volontaires et des conscrits, qu’ils soient arméniens ou azerbaïdjanais.

Les livres d’histoires mythologisés, les deuils autant personnels et collectifs, la provocation que nous voyons dans les médias qui est toujours faite par l’autre, ainsi que l’horizon des événements cadrés dans les dimensions des États-nations poussent à choisir la voie de la guerre, de la destruction et de l’autodestruction.

Nous choisissons en toute conscience la paix.

La responsabilité des pertes et des destructions incombe à celui qui choisit la guerre. Cependant, toutes les forces anti-guerres doivent, individuellement ou collectivement, exiger que les crimes de guerre de toutes les parties soient examinés et que les responsables soient punis. La première étape dans le rejet de la guerre est d’affronter, d’admettre et de prendre la responsabilité de chaque atrocité.

Par la pression des médias de propagande, ces atrocités sont devenues une nouvelle forme de barbarie. L’humiliation des soldats morts et blessés, l’exécution des prisonniers de guerre et le pillage des cadavres ne sont plus seulement réservés au champ de bataille, mais sont un produit médiatique. Les affects des gens ordinaires, qui alimentent simultanément la société spectaculaire, se tournent vers “le peuple”, “Dieu”, “les amis”, “les parents” et “les ancêtres” dont ils ont soi-disant hérité la glorieuse mission de mener la guerre sacrée. Peut-être qu’à côté des mélodrames militaires et des images érotisées d’adolescents soldats, les images pornographiques et destructrices des crimes de guerre en sont la réalité. Comme une drogue, elles se répandent d’une personne à l’autre. Pour ceux qui, à l’arrière, cherchent des informations sur leurs proches, cette drogue, qu’elle soit fabriquée par l’État ou un amateur, devient un moyen de retarder l’apathie par des crises de panique et d’euphorie. C’est ainsi que la violence et les meurtres de masse se normalisent, et qu’ils resteront avec nous après la guerre au même titre que les mines non explosées.

Nous n’étions pas prêts à croire que ce type unique de nécrophilie s’installer dans les nouvelles des deux pays aussi rapidement. Ceci est le nouveau langage du génocide, et nous devons le combattre.

L’une des premières étapes de la construction de la paix doit être la reconnaissance claire des droits des deux peuples (et c’est précisément là ou ont échoué les nouvelles autorités arméniennes au cours des deux dernières années). Outre les droits à l’autodétermination et à la sécurité des Arméniens du Haut-Karabakh, nous devons défendre les droits de la population azerbaïdjanaise du Haut-Karabakh et des territoires adjacents qui ont été expulsés pendant la guerre. Il est de la plus haute importance que ces droits soient acceptés en Arménie et parmi la diaspora.

C’est la voie qui nous permettra de parler de la restauration des droits des réfugiés arméniens et azerbaïdjanais d’Arménie, d’Azerbaïdjan et de l’ancien NKAO (Région Autonome du Nagorno-Karabakh). Même pendant les jours pénibles de la guerre, nous devons nous rappeler que les territoires sur une carte sont aussi une maison pour les gens : pour beaucoup d’Arméniens et d’Azerbaïdjanais, une maison perdue.

La conversation sur la restauration des droits des réfugiés ne connaît pas des groupes d’importance primaire et secondaire. Indépendamment de leur identité ethnique, de leur pays de résidence et de leur attitude les uns envers les autres, ces personnes sont victimes du nationalisme et de la guerre. Ils sont les otages d’un conflit non résolu.

Aujourd’hui, au milieu d’une guerre en cours, il est difficile de parler de comment il serait possible de parvenir à la pleine restauration des droits des réfugiés et de la sécurité des personnes en même temps. Cependant, les défenseurs de la paix et de la justice doivent l’admettre : le mépris envers les droits violés perpétue l’injustice et alimente la haine mutuelle.

Après leur occupation, les territoires adjacents de l’ancien NKAO ont été utilisés comme levier pour obtenir un statut. Des territoires en échange d’un statut. Ce n’est que plus tard, lentement, par opportunisme politique, que les élites et l’intelligentsia ont commencé à parler de ces territoires d’abord comme une garantie de sécurité (et l’argument le plus fort pour démentir cette illusion est la réalité catastrophique actuelle), puis comme une terre sacrée pour laquelle du sang a été versé.

Comme si les gens mouraient pour perpétuer la guerre.

Cette transformation du discours a également été le résultat de l’appropriation capitaliste. Quelle partie de la population de ces territoires vit dans une propriété privée, tout en étant au service de cette même propriété ? Les mètres carrés rendus par la guerre déclenchée par l’Azerbaïdjan vont-ils vraiment devenir un foyer pour les personnes expulsées lors de la première guerre ou simplement un nouveau bien aux mains des anciens propriétaires ?

Nous avons tous perdu face au capital et aux idéologies bourgeoises bornées qui le consacrent. Alors que la terre est la propriété de la classe capitaliste, les idéologues, qui se nourrissent de la bourse du capital, ont fabriqué de façon convaincante l’illusion que la terre appartient à la Nation, qu’elle soit arménienne ou azerbaïdjanaise. La terre a gagné une nationalité, une frontière, une clôture. Les droits de propriété ont été consacrés.

Nous avons permis le discrédit de la camaraderie de classe, de la solidarité et de l’amitié, et sommes enfermés dans la forteresse assiégée de l’identité nationale. Mais plus les murs des forteresses arméniennes et azerbaïdjanaises se sont élevés, plus le cercle qui nous relie est devenu proche. Ce conflit, qui dure depuis des décennies, nous a privé de tout. Il a légitimé les politiques implacables d’exploitation, d’injustice et d’inégalité, a mutilé notre dignité, notre imagination et nos rêves. Allons-nous vraiment abandonner aux diktats du système capitaliste, battre en retraite, concéder notre droit à l’existence ? Allons-nous vraiment tolérer d’être laissés des deux côtés de la souffrance et de la déception, gagnant que plus d’inimitié et de chagrin en guise de compensation ?

Le processus révolutionnaire, la restauration des droits par la paix et la lutte qu’elle nécessite devraient devenir la mission de tous les groupes progressistes ainsi que des groupes spécifiquement anti-autoritaires, anticapitalistes, anticoloniaux, féministes et environnementaux. Si aucune autre voie n’est possible, alors ce sont précisément ces groupes qui doivent garantir la paix et un développement harmonieux.

Si l’on considère le problème de l’instrumentalisation de la question nationale par les superpuissances du passé comme d’aujourd’hui, il peut aujourd’hui être stoppé par les peuples de la région en empêchant les forces impérialistes étrangères d’utiliser les gens comme marionnettes.

Nous sommes portés par l’impératif historique de transcender les frontières de l’État-nation, de construire des environnements justes, libres, égalitaires et fondés sur la solidarité, et d’assurer le développement harmonieux de la société. Toute lutte individuelle découlant de cet impératif fait partie d’une lutte mondiale, mais la nécessité d’actions locales et à court terme exige un programme clair. Nous nous proposons ces objectifs comme feuille de route, ainsi que pour nos amis d’Azerbaïdjan et d’autres pays :

- Cessez le feu immédiat !

- Les discours excluant le problème de la guerre, c’est-à-dire les gouvernements qui ne donnent pas de garanties pour établir la paix sont non démocratiques et inhumains, et perdent donc toute légitimité

- Soutien aux personnes dont les droits ont été violés lors de la mobilisation générale

- Condamnation des crimes de guerre commis par les deux parties pendant la guerre

- Développement d’un discours qui place l’objectif de la restauration complète des droits des peuples au-dessus des revendications de frontières

- Sensibiliser à la solidarité, aux intérêts communs et aux défis à relever aux niveaux individuel, organisationnel et communautaire en utilisant toutes les méthodes de la diplomatie interpersonnelle

- La démilitarisation de la région et en premier lieu de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie, c’est-à-dire que les armes offensives devraient être envoyées de manière proportionnelle et cohérente dans des décharges, les vraies et celles de l’histoire.

Vive la paix et la révolution à venir demain !

Aram Amirbekyan
Hrayr Savzyan
Gayane Ayvazyan
Anton Ivchenko
Davit Selimyan
Milena Abrahamyan
George Qehyan
Arevik Martirosyan
MZ
Gevorg Mnacakanyan
Haik Petrosyan
Alla Parunova
Qamee Abrahamyan
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Marusya Sepkhanyan
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VS
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